Kapital Europe

Photo de Pierre
Une scène du film Kapital Europe
Dénoncer par le silence. Revendiquer par la résignation. Antinomiques, et pourtant si compatibles. Les désenchanté·es, les désoeuvré·es, les victimes d’un monde Kapitaliste, avec un grand K, errent dans les affres d’une société occidentale qui n’a plus rien de séduisant.
Affiche de Kapital Europe

C’est à partir de ce postulat que se construit Kapital Europe, le premier long métrage du cinéaste bruxellois Ben De Raes. Lui vient de Roumanie, elle de Grèce. Deux pays marqués par les crises économiques et politiques, comme tant d’autres en Europe, où la montée de l’extrême droite et les inégalités poussent à l’exil. Bruxelles devient une promesse : capitale européenne, terre d’accueil supposée. Sur le papier, ça fait rêver. Mais derrière la grisaille et le « bon vivre » bruxellois, Ben De Raes ausculte les fissures du vieux continent, qui, en se voulant protecteur, se révèle impitoyable.

Reginald, ouvrier roumain payé au noir pour des travaux non déclarés, et Niki, jeune Grecque coursière pour une plateforme de livraison, incarnent ces vies fragiles, suspendues entre survie et routine.

Une scène du film Kapital Europe

En choisissant une image 16mm délicate, en puisant dans les codes du cinéma contemplatif avec une utilisation du plan fixe revendicatrice de réalité, Ben De Raes ne juge pas. Il capture et dénonce par l’image, sans artifice. En oscillant entre fiction et documentaire, il brouille les pistes du langage cinématographique. Que ce soit une coupure de courant due à un repas réchauffé au micro-ondes, une nuit « illégale » sur un lieu de travail, un vélo réparé pendant de longues minutes avec un graffiti FREE PALESTINE en arrière-plan ou bien des interviews face caméra du quotidien de ces livreurs surexploités, l’acte politique ne réside pas essentiellement dans sa dialectique mais dans l’image elle-même, insufflée par une réalité brute.

À la lisière du film expérimental, ce Kapital Europe évoque le cinéma de Bas Devos, l’un des plus grands cinéastes belges actuels, et notamment son dernier long métrage Here, qui racontait déjà le quotidien d’un immigré roumain. Un cinéma sensoriel, qui comprend et enrôle son médium dans son ensemble en l’épuisant jusqu’à son abîme pour en soutirer tout ce qu’il peut nous offrir. Une expérience exigeante, mais essentielle, pour découvrir Bruxelles non comme un décor, mais comme un personnage à part entière de la splendeur et de la décadence d’une société occidentale capitaliste en pleine décrépitude.

Deux trajectoires de vie anodines, remplies d’humilité. Le regard attentif et la fidélité au réel de Ben De Raes émeuvent et font réfléchir. En silence. Un silence puissant et revendicatif.

Une scène du film Kapital Europe

À Bruxelles, Kapital Europe est à retrouver au cinéma Aventure. Images : © Rayuela Productions