
Ce documentaire d’1h03 nous fait voyager dans le temps, à une époque où la vie est encore en noir et blanc, et où les Marolles ne sont qu’un petit quartier, composé de quelques blocs de maisons, délimité par le boulevard de Waterloo jusqu’à la porte de Hal, le versant droit de la rue Haute et les rues du Faucon et de Wijnants.
Nous sommes en juin 1969. Les 1 500 habitants viennent de recevoir un avis d’expulsion, dans le but de construire une extension du Palais de Justice nécessitant la destruction de 1,5 hectare du quartier.
La balade commence avec Jef, agent de la PTT et fervent serviteur des habitants du quartier depuis plus de 30 ans. Les Marolliens, il les connaît bien — et il les aime. Il nous parle, avec beaucoup d’incompréhension, de ces logements considérés comme complètement vétustes par les pouvoirs publics de l’époque, par manque de modernité. Pourtant, selon Jef, « quand on rentre chez des gens, on dirait pas que c’est les Marolles tellement ils sont propres, on se croirait chez des bourgeois ».
On comprend alors le désarroi de ces habitants, chassés de là où ils sont nés, ont grandi et vécu toute leur vie — parfois depuis plusieurs générations. Mais l’incompréhension est encore plus grande lorsqu’on apprend que, au-delà du projet de déloger plus de 1 000 personnes pour construire des bureaux, le Palais de Justice venait tout juste de se faire ravir la première place du plus grand bâtiment historique au monde… par la NASA, rien que ça.
Le décor étant planté, on part rapidement à la rencontre de figures emblématiques du quartier, notamment Jacques Van der Biest, vicaire de la paroisse locale. Cet homme devient le visage de la lutte pour la préservation des Marolles. Bien connu des habitants, il mène un combat acharné pour sauver les immeubles et préserver la vie de quartier, loin des spéculations immobilières et financières, avec pour seul objectif de défendre la dignité de tous et une véritable union entre les habitants.
Il est touchant — et amusant — de constater que certains regards ne changent pas, malgré l’humour et le cynisme qui entourent leur représentation : être ferrailleur ou chiffonnier, c’est « exercer une profession libérale » ; les « vieilles habitudes et petits métiers » sont autant d’éléments qui définissent ces gens aux yeux des autres.
Grâce au pouvoir oratoire du vicaire, plus d’un tiers des habitants des Marolles se mobilise. Ensemble, pendant trois mois, petits et grands, ils vont se battre pour continuer à vivre ici. Partout, dans les rues, sur les balcons, accrochées aux lampadaires ou collées sur le Palais de Justice, apparaissent des affiches, des banderoles criant « NON ! », « Non à l’urbanisme bureaucratique ! »... Tout le monde est mis à contribution : les enfants crient « Ahou les ministres ! » et « Laissez-nous vivre en paix ! ».
On les accuse de vivre dans des taudis ? Alors ils prennent les choses en main et se lancent eux-mêmes dans la restauration des bâtiments, en commençant par la chapelle de Jacques Van der Biest. Et à force de mobilisation, ils finissent par obtenir gain de cause : le 13 septembre 1969, l’arrêt des expulsions est officiellement prononcé. Une kermesse de la victoire est organisée dans les rues, avec pour grand final l’enterrement symbolique de Monsieur le Promoteur Immobilier, de sa fidèle épouse la Bureaucratie, et de leur enfant, l’Expropriation. On pleure faussement à chaudes larmes, on crie, on danse, on s’embrasse… avant d’embraser le cercueil vide.
Cette heure passée à voyager dans le temps permet de réaliser que, au-delà d’un combat pour la préservation d’un lieu de vie, c’est avant tout une bataille pour la survie d’une histoire : celle de milliers de personnes prêtes à tout pour avoir le choix. Car, comme le dit Jacques Van der Biest, il veut faire vivre « la voix de ceux qu’on n’écoute pas ». Dans cette mobilisation, c’est un quartier tout entier qui a fait front. Ce combat a permis le rassemblement, la rencontre de générations unies par un amour commun pour ce qui fait leur identité. Ensemble, ils ont résisté face aux pouvoirs publics et aux promoteurs immobiliers véreux, qui ne voyaient en eux que des chiffres, alors qu’eux défendaient la cohésion et l’humanité.
Ce documentaire, en accès libre sur le site de la SONUMA, nous permet, avec un humour grinçant et une bienveillance magistrale, de découvrir une facette méconnue mais essentielle de l’histoire de Bruxelles.
En souvenir de cet événement historique, une stèle à la mémoire de Monsieur le Promoteur Immobilier et de sa fidèle épouse, la Bureaucratie, a été posée rue Montserrat, à 200 mètres de la bibliothèque Bruegel et du Petit Lion, et à 500 mètres du Palais de Justice.