
En bonne Française que je suis, je vais commencer par parler de... moi ! J’ai eu la chance de grandir dans la très belle région du Béarn, et de baigner depuis toute petite dans une marmite de patois, mijotée à coups de roulements de « r », de bérets et de bons magrets de canard.
Aujourd’hui, je suis végane, sans accent clairement défini, et je vis en Belgique.
C’est l’amour qui m’a amenée ici — en partie, du moins. Pour mon compagnon, d’abord. Pour les salaires belges, nettement plus généreux aussi. Mais finalement, c’est cette ville qui m’a retenue.
Mes premiers vrais pas à Bruxelles, je les ai faits dans les Marolles. Bien sûr, j’avais déjà foulé les pavés de la ville, mais ce n’étaient que des balades de touriste, à arpenter des rues où je ne vais même plus aujourd’hui — sauf pour râler contre ces sales frouzes qui ricanent dès qu’on dit « nonante ».
Le livre Une langue qui a du chien parle justement de cette première expérience qu’on peut vivre en arrivant à Bruxelles. Il le fait bien. Sans condescendance, avec l’envie sincère de faire comprendre ce qui, au premier abord, semble incompréhensible.
La première partie s’attarde sur quelques spécificités de la Belgique : ses communautés, ses régions, sa politique, mais surtout ses langues et dialectes. Car pour les Français qui ne le savent pas : il y a trois langues officielles. Et bien plus de langues « officieuses ». Oui, l’allemand en fait partie. Non, le flamand, ce n’est pas « la langue belge ».
Les deux autrices nous font traverser le quartier des Marolles, où je vis et travaille. Rapidement, entre deux antiquaires bien connus, elles nous emmènent au « Café de Cathy », Le Petit Lion. C’est dans ce bar que j’ai fait ma première véritable expérience brusseleir. Accoudée au zinc, je demande à Félix et Olivier, deux habitués et Marolliens : « Dites, c’est quoi pour vous, la Zwanze ? » Je leur lis un extrait du livre, et ils éclatent de rire. « Pfff, mais la zwanze, c’est bien plus que ça. C’est un état d’esprit, une façon de vivre. C’est cracher sur son voisin… parce qu’on l’aime bien ! »
Oui, la Zwanze, c’est bien plus que faire rire. C’est une posture, une manière d’être. Quelque chose qu’on ne peut pas vraiment expliquer. Et c’est justement ça qu’on aime dans ce livre : cette justesse avec laquelle elles parviennent à le dire, sans l’expliquer.
Les autrices parlent du rapport émotionnel qu’on entretient avec sa langue, son histoire, et de l’attachement profond à un vocabulaire qu’on a vu grandir avec soi. Quand je rencontre ceux qui sont nés dans la Marolle, ceux qui ont participé à la Bataille de la Marolle, qui me racontent leur vie à arpenter chaque recoin du quartier, je réalise que ce n’est pas seulement une guerre pour préserver un dialecte. C’est une lutte pour faire vivre leur histoire, leur identité, ce qu’ils sont.
Au détour des pages, on découvre la petite (et grande) histoire des langues qui composent le bruxellois. On comprend mieux cette écharpe poussiéreuse accrochée au-dessus du bar, sur laquelle on lit « Bossemans et Coppenolle », cette pièce mythique en beulemans. On découvre aussi les origines du marollien, du Brussels Vloms, du bargoensch. On croise alors des personnages comme dans un voyage du Petit Prince& : le responsable de la bibliothèque de Saint-Josse, qui traduit des bandes dessinées et écrit des fables en beulemans… Et tant d’autres, qui tissent les fils de ces liens invisibles mais tenaces.
Découvrir Bruxelles et son parler brusseleir, c’est aussi plonger dans un humour grinçant mais sincère, rempli d’autodérision (et de quelques pils), de Zwanze, de peïs qui vont fumer des clopes en stoemelings dans les toilettes du bar.
J’ai aussi découvert que l’aversion envers les « Français-han » vient souvent de notre propension à la condescendance, et à ce chauvinisme si caractéristique. Alors, au nom de toutes celles et ceux qui auraient voulu grandir au creux de votre histoire : pardon. On tâchera de plus souvent se taire, pour mieux vous écouter.
Merci à Bianca Dall’Osso et Guylaine Germain d’avoir su, avec tant de justesse, nous faire comprendre les facéties de l’organisation belge avec autant de bienveillance et de clarté. Car finalement, leur conclusion résume parfaitement ce que l’on peut ressentir lorsqu’on trouve enfin son « chez-soi » : « L’attachement à Bruxelles est la nouvelle langue bruxelloise. »
Ce livre est à retrouver à la bibliothèque Bruegel, située Rue Haute 245, à 60 mètres du Petit Lion.
Vous pouvez écouter cette chronique dans notre émission du 6 juin 2025.